***Félins pour l\'autre***

***Félins pour l\'autre***

Que nous apprennent les animaux?


Que nous apprennent les animaux domestiques?

Au début
Ce matin, en me levant, un chat m'a regardé bizarrement. Son regard ne disait rien et n'exigeait rien de moi. C'était juste un regard rempli de la relation entre moi et le chat.Je me suis alors posé cette question avant de débuter une journée qui allait sur le plan personnel, professionnel, scientifique, peut-être m'apprendre plein de choses: que nous apprennent les animaux?

Cette question qui semble toute simple ne dissimule pas moins des aspects compliqués: que signifie le terme "apprendre" dans le cadre d'une relation qui n'est pas celle d'humain à humain ou d'humain à objet (le livre nous apprend quelque chose)? quelles sont les spécificités de cet apprentissage que nous délivrerait les animaux? sur quoi porterait il? les animaux nous apprennent ils réellement quelque chose ou bien est ce que notre relation à eux se fait sur une autre modalité que celle de l'apprentissage?

Nous pourrons tout d'abord voir que l'animal, en tant qu'être singulier et étranger à nous même, nous apprend l'altérité et exige de nous de sortir de notre mode de pensée habituelle pour le comprendre et en apprendre son "langage".

Cependant, dans un deuxième temps, nous pourrons voir que cet apprentissage trouve ses limites dans la nature même de la relation que nous avons à l'animal, relation qui ne se fait pas seulement comme relation de connaissance, mais comme relation affective.Par conséquent, les animaux nous apprendraient davantage sur nous même que sur eux.

Enfin, nous opterons pour une position originale: l'animal ne nous apprend rien et reste totalement inutile, sans fin et c'est justement cette présence totalement inutile qui le rend irréductible et si précieux car non réductible à une relation ou à une valeur;

***

"Faire avant tout connaissance"
Le premier apprentissage que l'on peut tirer d'un animal c'est par l'observation. Jour après jour, mon chat m'apprend davantage sur lui même: j'observe ses mouvements, sa façon de se nourrir, sa façon d'entrer en contact avec les autres chats.
De mes observations empiristes (c'est à dire des phénomènes isolés et des manifestations de mon chats) j'en tire une connaissance de déduction. Ainsi, c'est parce que je sais que mon chat est habitué à faire dans son bac, que je m'inquiète lorsqu'il n'y fait pas ses besoins. L'habitude que j'ai eu de le voir faire dans le bac a forgé chez moi une connaissance du chat et de son comportement.
Le chat pour nous, dans un premier temps, consiste donc en la somme des observations que j'ai eu de lui et des connaissances que j'ai pu en tirer.
Le chat nous apprend donc d'abord, de lui même, sa présence au monde, sa façon d'être que peu à peu nous apprivoisons, que nous connaissons au fil des jours davantage.
Le regard du chat, au final, nous invite à l'observer, nous invite à le connaitre , à apprendre de lui davantage: bref à "faire connaissance".

C'est par la connaissance de son comportement et de ses habitudes que le chat, que l'animal, rentre dans notre vie et dans notre façon de penser et d'organiser notre quotidien.
Les animaux nous apprennent donc avant tout sur eux même et c'est par cet apprentissage qu'ils entrent dans notre vie. Avoir un chat sans rien vouloir apprendre de lui, c'est potentiellement l'abandonner et le laisser, comme nous, dans sa solitude. Quand , dans le Petit Prince, le renard demande au petit prince de l'apprivoiser, c'est tout simplement comme s'il lui demandait de mieux l'observer, de mieux le connaitre.

Car, l'observation d'un animal, cet apprentissage qui en découle, ne se fait pas comme l'observation d'un simple objet, ou d'un tableau dans un musée, car là, ce qu'on observe, c'est un animal, un être vivant.

Lévinas dans ses ouvrages, montre que la connaissance peut se faire sous deux modes différents. D'une part une connaissance totalisante qui épuise son objet, c'est à dire a la faculté de tout connaitre de lui, de manière finie et définitive.D'autre part la connaissance ouverte, qui ne s'épuise jamais et qui recèle toujours des nouveautés à l'infini..On ne connait pas de la même manière ses amis (connaissance ouverte) que sa voiture (connaissance totalisante)..
Ainsi la connaissance que nous délivre le chat de lui même n'est elle pas une connaissance totalisante mais une connaissance ouverte qui nous invite à l'écoute et à l'observation infinie.
Levinas traduit cette notion de distance nécéssaire par le terme de "respect" (du latin re-qui traduit l'éloignement et spicio le fait de regarder, de considérer): le chat est là, dans sa fragilité et c'est cette présence qui nous invite non pas à le connaitre comme un objet, mais à le connaitre toujours à nouveau, sans cesse, comme un être singulier, comme l'Autre.
C'est pourquoi, on peut rapprocher l'apprentissage que nous délivre le chat ou l'animal, de l'apprentissage d'une langue étrangère: nous sommes ainsi invités à entrer dans un monde (celui de l'animal) totalement différent, totalement autre que jamais nous ne finirons de connaitre.
Avoir un animal, c'est dans une certaine mesure, apprendre de l'animal sa langue pour devenir peu à peu bilingue et entretenir avec lui une relation de plus en plus complice.
**
Une relation particulière

On l'a vu, l'animal nous apprend sa langue, sa présence au monde, sa façon d'être et nous invite à "faire connaissance".
Cependant, cette connaissance n'est pas tant une connaissance pure délivrée telle quelle comme n'importe quel manuel théorique la délivrerait mais une connaissance affective qui se tisse dans une histoire partagée.
Souvent quand on demande à quelqu'un de raconter la vie de son chat, la personne raconte l'histoire de la relation avec le chat qui n'est pas son chat, au sens de la possession, mais un ensemble d'évenements qui ont tissé une relation affective forte.
Les animaux ne nous délivrent donc pas tant une connaissance finie mais une véritable exigence de conversion de notre façon de vivre.
On peut ainsi considérer que l'animal est avant tout une rencontre qui brise notre train train quoitidien et nous oblige à écrire notre histoire personnelle, qui n'est pas linéaire mais ponctuée de traumatismes, c'est à dire de faits marquants qui nous forment comme personne singulière, originale.
Avoir un chat ou un animal, ce n'est pas avoir un objet décoratif chez soi, mais c'est véritablement être transformé, être boulversé dans sa vie par une présence, par une relation qui change notre façon d'être.
L'animal se pense ainsi sur le mode de l'"Etre-avec" plutôt que de l'"Avoir".
Kierkegaard dans Ou bien Ou bien, montre que l'Autre, sa présence, ne nous apprend rien d'autre que la Passion, c'est à dire le vécu intérieur intense de cette relation qui nous transforme completement.
Si je n'avais pas de chats, je serai totalement différent de ce que je suis aujourd'hui et on peut dire de ce point de vue que les chats et la relation que j'ai avec eux, m'apprend chaque jour à être, à devenir un petit peu plus moi-même.
La présence de l'animal à nos côtés exige de sortir de nous et de notre torpeur pour risquer notre être: c'est ainsi que nous avons besoin d'une altérité, d'un autre pour devenir nous même par cette remise en question permanente de notre égoisme spontané.
On peut ainsi dire que l'animal nous apprend à être par sa simple présence qui "dérange" notre présence égoiste tranquille pour nous amener sur le terrain de la passion, là où se forge notre Moi.
**
L'apprentissage nul
Néanmoins, les réflexions précédentes appellent des objections: n'avons nous pas contourné la question en prenant à chaque fois le point de vue humain qui consiste à chercher en tout une fin, un but?
La présence du chat n'a t elle pas d'autre but que de ne pas en avoir? La présence du chat sert elle à quelque chose (apprendre)?
Car au final, ce regard de chat, au pied de mon lit ne m'apprend rien et ne vise rien: c'est un simple regard qui ne demande rien et qui ne rend rien. C'est juste un regard gratuit au milieu d'un monde défini humainement par l'utilité, la performance.
On peut alors faire l'hypothèse paradoxale d'un apprentissage nul, vide mais pourtant essentiel.
En me regardant ainsi, mon chat m'apprend aussi à le regarder comme un être inestimable et irreductible à une quelconque valeur ou finalité.
Voir son chat comme inutile et sans valeur, c'est je crois le connaitre au sens d'aimer, c'est à dire se refuser à le transformer en simple objet dans une observation, une relation ou un but qui échappe au chat lui même.
C'est reconnaitre au chat sa véritable nature d'animal qui nous échappe nécessairement et l'inclure dans une autre démarche.
Heidegger, dans l'Etre et le Temps, propose ainsi une dimension poétique où l'Etre du monde ne se lirait plus par l'observation, mais se dévoilerait dans une façon d'être poétique au monde.
Et de fait, dans la poésie de Baudelaire, la figure du chat est celle qui permet à l'Homme de passer de la réalité brute et nue à la Beauté.
Le chat nous apprend rien; par sa présence, il nous éveille à la Beauté, essentielle à notre existence.

***
Pour conclure
Que nous apprennent donc au final les animaux domestiques? on a vu, au cours de ce court essai, les différentes modalités de cette relation complexe que nous avons aux animaux.
Pour finir, je soulignerai juste que l'animal reste à réintégrer dans toute réfléxion philosophique puisqu'il remet en cause nos habitudes de pensée et renouvelle donc sans cesse notre recherche de la vérité et du bonheur.


Marc







01/05/2009
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 14 autres membres